Le coup de bambou était attendu par les salariés depuis l’annonce, le 4 mars, d’une perte abyssale de près de 5 milliards d’euros en 2014. Et la fourchette est conforme à ce que craignaient les syndicats. Mais le choc est rude, forcément. Areva va supprimer entre 5 000 et 6 000 emplois dans le monde, dont 3 000 à 4 000 en France, dans le cadre d’un plan d’économies d’un milliard d’euros d’ici 2017. Son but : «restaurer la compétitivité» du géant nucléaire français, au bord de la faillite. Le groupe, qui emploie 28 520 personnes en France (sur 44 000 au total), compte «réduire ses frais de personnels de 15% en France et de 18% dans le monde» pour retrouver «un free cash flow positif», comme disent les costumes gris.

Novlangue. Jeudi matin, à la première heure, le directeur général du groupe nucléaire, Philippe Knoche, flanqué de son super DRH, François Nogué, récent transfuge de la SNCF, a donc annoncé la douloureuse aux représentants syndicaux convoqués dans la tour Areva, à La Défense, pour une première réunion de cadrage d’un plan joliment intitulé «contrat triennal de transition pour l’investissement et la sauvegarde économique du groupe». C’est sûr, en novlangue ressources humaines, ça claque mieux que «plan social». Mais c’est bien d’un plan de réduction d’effectifs drastique dont il s’agit. De mémoire de syndicaliste, c’est même«le plus lourd dans toute l’histoire de la filière nucléaire française», se désole Bruno Blanchon, responsable de la branche énergie atomique de la fédération mines et énergie de la CGT (FNME-CGT) et accessoirement spécialiste en radioprotection à l’usine de retraitement de déchets de La Hague qui va être salement touchée.
Le détail des réductions d’effectifs n’est pas encore connu. «L’impact précis en termes d’emploi fera l’objet de discussions avec les organisations syndicales», dans le cadre de négociations qui vont commencer le 12 mai et durer jusqu’à fin juin, a indiqué le groupe. Mais, même si la direction entend jouer sur «tous les leviers» (rémunération, organisation et temps de travail) et privilégier les départs «volontaires», les suppressions d’emplois devraient toucher le haut de la fourchette : 4 000 en France. Les syndicats font leur compte : «Si on arrive au maximum à 2 500 volontaires pour le guichet départ, ça veut dire qu’il y aura 1 500 licenciements contraints», prévient Pascal Evariste, délégué central CGT d’Areva. Sur le plan géographique, l’inquiétude est grande aussi, même si la direction promet que «l’effort le plus important portera sur les fonctions support, corporate et siège». Selon nos informations, le site de Beaumont-La Hague, où 100 suppressions de postes ont déjà été annoncées, risque de perdre 500 emplois. Quand on sait que La Hague est le premier employeur du Cotentin… Les autres sites clés du groupe, comme l’usine de Châlon-Saint-Marcel (où l’on forge le réacteur EPR) et l’usine d’enrichissement d’uranium Georges-Besse-II du Tricastin, dans le Rhône, devraient aussi être touchés.
A l’étranger, 1 500 suppressions de postes ont déjà été annoncées en Allemagne, et «plusieurs centaines aux Etats-Unis». On arrive ainsi à 6 000, soit 15% des effectifs du groupe. Sur le milliard d’économies prévues d’ici 2017, 600 millions porteront sur la masse salariale. Un plan«unanimement dénoncé» par l’intersyndicale (CGT, CFDT, CFE-CGC, FO, UNSA) d’Areva car il ferait porter «les efforts sur les seuls salariés». La FNME-CGT estime que «l’Etat a décidé de saborder la filière nucléaire, satisfaisant à une logique financière au détriment d’une logique industrielle» d’avenir. Et Bruno Blanchon craint, avec cette saignée, «une perte de compétences tragique» pour le nucléaire français, dont l’image est déjà bien écornée par les déboires de l’EPR à Flamanville et en Finlande.
«Polémique». E nvoyé au charbon pour «vendre» ce plan à la presse, le super DRH François Nogué pense évidemment le contraire : «On fera tout pour préserver la compétence et le know-how du groupe. Ce plan d’économies est nécessaire si nous voulons être en capacité d’assurer nos investissements, notre développement.» Et tout le monde fera des efforts puisque «5 000 cadres» supérieurs et dirigeants vont voir leurs bonus supprimés ou rabotés. Précision utile après la polémique sur la retraite chapeau de 300 000 euros du président d’Areva Philippe Varin, en tant qu’ex-patron de PSA (lire Libération du 7 mai). Mais, avec une perte de 4,83 milliards d’euros sur 8 milliards de chiffre d’affaires et une dette de 5,8 milliards, ce plan ne suffira pas à sauver le groupe. C’est en fait un préalable aux grandes manœuvres qui vont suivre. «Il s’agit de rendre la mariée plus belle avant de la dépecer», s’indigne Pascal Evariste. Sur la table de l’Etat actionnaire (87% d’Areva), plusieurs scénarios, qui peuvent se cumuler : cession probable de la branche réacteurs (Areva NP) à EDF, celle possible de la branche maintenance à Engie (ex-GDF Suez) et entrée des géants chinois du nucléaire CGN et CNNC au capital de ce qui restera d’Areva. L’ancien «champion» du nucléaire français privé de son cœur de métier réacteurs et réduit à Areva NC, l’ex-Cogema (mines et enrichissement d’uranium, retraitement de déchets) ? C’est paradoxalement le cauchemar partagé par les syndicats et la direction d’Areva, qui tentent, chacun de leur côté, de défendre l’intégrité du groupe, même s’ils vont s’opposer durement sur le lourd plan social à venir.

Source : Libération JEAN-CHRISTOPHE FÉRAUD